Etat des lieux
Hygiène pendant les vendanges
- Jérôme Sciacchitano
- Alimpex – Œnologue, Responsable développement – Bennwihr – France.
Constats
Sur le terrain
Dans notre démarche d’accompagnement des caves à travers l’hygiène, nous avons
mené une série de tests / d’essais sur l’ensemble des vignobles français (25 caves en totalité) pendant les vendanges. L’équipe souhaitait comprendre quels sont les réflexes et mécanismes mis en place sur cette phase importante de l’élaboration et comment y apporter des solutions complémentaires. Pour chaque essai, le protocole était identique. On partait du matériel considéré comme propre par les caves, une analyse était menée pour obtenir l’état initial (considéré comme propre) et un traitement complémentaire le cas échéant, devait ramener la charge microbienne à un état acceptable. Les équipements visés étaient centrés sur les pressoirs, vendangeoirs, machines à vendanger, cuves de débourbage, cuves de fermentation, belons et laveuses de caisses.
Le premier constat est implacable, on le verra en détail ci-dessous mais 90 % des équipements testés étaient contaminés.
Le deuxième constat était tout aussi alarmant puisque plus de 50 % des pratiques observées sur le terrain sont considérées comme inefficaces. La prise en compte de la détergence et de la désinfection n’est pas toujours intégrée dans les plans d’hygiène. Ceci nous laisse perplexe notamment sur un millésime considéré comme chaud avec des pressions
microbiennes et des maladies cryptogamiques qui ont largement influencé l’état sanitaire des vendanges. Un autre point que l’on peut mentionner est le manque de considération concernant la gestion de l’eau. Enfin et ceci n’est pas anecdotique, de nombreuses actions observées s’avèrent inefficaces tout en mobilisant des ressources humaines et des budgets significatifs en produits d’hygiène. Nous nous attacherons à restituer
fidèlement les retours du terrain sur les postes significatifs, en mettant en avant les solutions pour y remédier. Cet article ne fustige personne mais permet de prendre conscience de ces étapes clés, pendant l’élaboration des vins.
Les équipements étaient testés par un ATP Mètre Kikomman Lumitester Smart avec des écouvillons Lucipac Pen. Les mesures étaient faites au même endroit avant et après les nettoyages, en prenant soin de suivre le protocole du fabricant. Cette mesure doit être considérée comme un indicateur de la charge microbienne et non comme une valeur en soi. L’ATP-métrie est une technique
de biologie moléculaire, basée sur le principe de la bioluminescence, qui permet de mesurer quasi instantanément la quantité
d’ATP (Adénosinetriphosphate) présente dans un échantillon (tableau 1). Les résultats sont
donnés en RLU (Unité Relative
de Lumière).
Tableau 1
- Les solutions d’hygiène ont été appliquées par nos équipes :
Enzyfoam Pro (enzymes moussantes) - Enzywine R10 (enzymes dérougissantes) et
- Powerzym M (enzymes de trempage ou CIP).
Les temps d’action sont de 20 minutes en moyenne avec un rinçage à l’eau, puis une désinfection était menée avec de l’acide peracétique (Hydrosan 5). En fin de cycle, un test de résidu était mené sur les enzymes et l’acide peracétique. Vous trouverez ci-après, les résultats en comparant la mesure avant le nettoyage sur du matériel qui était considéré comme propre puis la mesure après le protocole renforcé de nettoyage.
Laveuse de
Caisses
La conception de ces systèmes induit un recyclage de l’eau et des contaminations importantes. À noter également les boues résiduelles dans le fond du matériel (figure 1).
Figure 1
Les
pressoirs
Les pressoirs étaient essentiellement testés sur les versions « membranes ». On observe une vraie dégradation microbienne au fil du temps. Sur des périodes de plus de 15 jours, les charges microbiennes mesurées sur les mêmes matériels augmentent de manière significative si l’hygiène n’est pas suffisante (ex: 86 à 350 RLU observés sur 15 jours) (figure 2).
Figure 2 : Intérieur du pressoir sur du matériel considéré comme propre par la cave.
Les
pompes
Un article précédent avait traité de cet aspect. On le rappelle ici que pour 1 L de vin produit, I’IFV a mesuré des consommations d’eau de 3 à 10 L avec une moyenne pondérée à 3,8 L. Cet or bleu est à respecter sur les prochaines décennies; 20 % des consommations sont liées aux fuites. Ici, il est assez facile de placer des débitmètres pour chaque atelier et de surveiller toute dérive sur base d’objectifs atteignables. Aujourd’hui, le lien hygiène et gestion d’eau est inaliénable et soyons clairs, la législation va durcir considérablement son utilisation. La « reuse » ou réutilisation d’eau sera un enjeu majeur en production. Ceci entraînera de nouvelles habitudes à prendre en considération.
Figure 3 : Eau de nettoyage suite au circuit fermé pour nettoyer la pompe
Cane de
remontage pour rouge
Un équipement souvent oublié dans les caves qui est rincé à
l’eau mais peu nettoyé avec les solutions adéquates (tableau 2). Les résultats sont assez homogènes sur l’ensemble des caves rencontrées. Ce qui pose question dans cette configuration, est le fait que certaines caves sous couvert de leur nettoyage pensent être à l’abri de contaminations. Or on le voit ici, ce qui semble propre ne l’est pas forcément. Bien entendu, on ne peut pas comparer le niveau d’hygiène pendant cette période à celui d’une mise en bouteilles. En revanche, les conditions sanitaires et climatiques nous amènent tous à renforcer dans certains cas le protocole de nettoyage. On peut également se demander si toutes ces contaminations courantes en France (Brettanomyces, piqûres lactiques, fermentations sur bourbes…) ne pourraient pas être évitées en mettant en place un plan d’hygiène plus efficace et moins contraignant?
Je fais également un aparté sur les consommations d’eau observées pendant les vendanges. Sur l’ensemble des caves suivies, aucune n’a mis en place une gestion raisonnée de la consommation d’eau. On retrouve beaucoup de matériels inappropriés pour réduire la consommation d‘eau et le personnel n’est pas sensibilisé à la problématique. En effet, cet aspect pourtant crucial aussi bien en termes d’économie d’eau que de gestion des effluents, est le plus souvent complètement absent de la réflexion globale du plan d’hygiène des caves. Le protocole de nettoyage se raisonne en fonction du risque perçu et analysé. Il est évident que l’on ne peut pas mettre en place un protocole renforcé tous les jours. En revanche il est opportun de le placer au minimum une fois par semaine et en cas de risque avéré sur des matrices jugées comme sensibles, ou après traitement de matrices contaminées.
C’est dans cette optique, que nous alertons la filière sur ces étapes d’hygiène. Notre volonté n’est pas de « crier au loup » mais de faire prendre conscience des lacunes dans ce domaine.
Alimpex évolue également dans d’autres univers (cosmétique, agroalimentaire) et on peut avancer que ces industries ont un temps d’avance sur nous.
Notre credo, le bon produit au bon moment et à la bonne dose en mesurant ce que l’on fait, est suffisant pour garantir une bonne hygiène tout en restant responsable et en gérant son budget.
Tableau 2 : Mesures sur cane de remontage.
Faire
les bons choix
Choisir les bons produits pour nettoyer efficacement son outil de production et de transformation tout en respectant le plus possible l’environnement constitue un vrai défi !
Observons, par exemple, ce qu’a développé la société Bio Attitude. Depuis 2001, celle-ci a développé une gamme de produits de nettoyage et de désinfection efficace et respectueuse de l’environnement et conforme au cahier des charges « Ecocert Ecodétergent ». Ce référentiel privilégie les ressources renouvelables par rapport à toute autre source et, notamment les ressources pétrochimiques, ainsi que les procédés de transformations les moins nocifs pour l’environnement. Les matières premières sourcées et utilisées par Bio Attitude sont principalement des coproduits de la filière agricole qui n’entrent pas en compétition avec la production alimentaire. Ses produits sont, en effet, élaborés à partir de pulpe de betterave, de paille et de son de blé pour produire des principes actifs 100 % d’origine naturelle. Au travers de ses gammes, Bio Attitude met en avant des produits à base de pentoses très efficaces et élabore des produits à base d’acide lactique et d’alcools, tous d’origine naturelle. Certains produits sont sans pictogrammes, ce qui permet de maîtriser le risque humain et environnemental. Saluons cette initiative qui remplit cette dimension RSE. Même si cette gamme sans chlore est conforme à la réglementation française et à la production de bières bio, elle s’adresse également à tous les acteurs de la profession qui veulent intégrer dans leur politique une dimension locale et environnementale. Son département R&D travaille en étroite collaboration avec une des plus grandes plateformes d’innovation en Europe concernant la chimie verte basée à Pomacle en Champagne-Ardenne.
Autre innovation, les enzymes de nettoyage. Très plébiscitées dans le monde de la brasserie, elles permettent de compléter les processus de nettoyage, notamment en dégradant les matières organiques ou microorganismes récalcitrants. Leur rinçage est facilité, l’opérateur est moins soumis aux risques de brûlures, elles respectent le matériel et sont moins impactantes dans leur production au niveau de l’empreinte carbone. Elles s’utilisent pour décolmater des membranes, nettoyer des équipements, prévenir les biofilms, voire les éliminer. Leur efficacité n’est plus à prouver et peut s‘intégrer tout au long du processus. La société belge Realco spécialisée dans ce domaine a développé une expertise dans ce domaine qui peut apporter de nombreux atouts dans nos filières.
Adopter
la mesure
Mesure ATP métrie
Ici, on va pouvoir intégrer la quantité de produits à ajouter au bon moment. L’hygiène novatrice doit se piloter sur l’analyse. Il n’est plus question de mettre en œuvre des quantités importantes de produits. Cette étape se franchit en intégrant l’analyse via un ATP mètre ou des contrôles posts traitements. Ainsi, on peut définir le risque sur une étape. Ex., à la mise en bouteille, on peut viser moins de 100 RLU en ATP métrie. Cet objectif va définir le processus d’hygiène à suivre. Chaque opérateur devrait être équipé de ce type d’appareil pour évaluer la charge microbienne et contrôler le travail. Dans ce type d‘analyse simple, on peut citer la conductimétrie qui, si elle est bien utilisée, permet de valider les temps de rinçage. Ceci permet de réduire les consommations gargantuesques d’eau alors que le pH est déjà à 7. On peut coupler conductimétrie et NEP mobile, là encore, un concept qui a de l’avenir dans notre filière.
Agir
en corrigeant
Il est illusoire de penser que les processus sont figés. Nous préconisons d’intégrer une remise en question régulière des habitudes et de s’adapter au marché et à la législation. Les prochains décrets devraient demander aux industriels de réutiliser 10 % d’eau d’ici à 2030. Mais quid de l’avenir ? Un changement de plan d’hygiène doit nécessairement réajuster la méthode, le produit ou le résultat. Autant d’exemples qui doivent mettre en exergue cette notion de correction, pour s’adapter aux nouvelles exigences.
La préoccupation de l’hygiène est assez faible dans nos univers actuels, peu maîtrisée, mal intégrée dans les processus, elle est souvent considérée comme le mal nécessaire et rarement comme le garant des process. Sa gestion devient scientifique, technique et demandera de plus en plus de compétences. La pratique de l’hygiène va considérablement changer dans les années qui viennent. Le législateur, la pression environnementale et les consommateurs définiront de nouveaux réflexes. À nous de suivre les étapes et de réagir favorablement, non pas pour estampiller un nouveau logo mais plutôt en étant convaincu, que la démarche est efficace, économe et de nature à respecter son environnement et toutes ses composantes humaines.
Article paru dans la Revue des Œnologues n°190, Janvier 2024



